In memoriam Christian Decolon

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En juin 2019 nous avons perdu un membre et ami qui nous était cher. En effet, Christian Decolon nous a quittés soudainement et d’une façon tout à fait inattendue. A la sortie de la cathédrale, alors qu’il voulait rentrer chez lui tout en profitant d’un temps des plus agréables, il s’est brutalement affaissé. Sa tête a heurté le bord du trottoir, violemment, tant et si bien que les secours n’ont pu le réanimer, malgré la rapidité de leur intervention. La nouvelle de son décès a fait mal à tous ceux qui le connaissaient et à qui sa sociabilité, sa disponibilité et sa culture l’avaient rendu cher.

Sait-on seulement qu’il n’hésitait pas à aider la secrétaire des Amis du Vieux Strasbourg dès qu’elle avait un problème ? N’arrivait-il pas à le résoudre sur-le-champ, il laissait mûrir la question en lui et revenait à la charge, patiemment et avec le sourire. Membre de notre Société, il s’y était progressivement impliqué au point d’y œuvrer sans jamais rechigner à la tâche. Devenu tout d’abord bénévole de la permanence, il travaillait régulièrement le mercredi après-midi, secondant de ses dons, sans jamais s’imposer à qui que ce soit, tous ceux qui avaient besoin de son aide. Esprit scientifique et rigoureux, il s’y montrait curieux de maîtriser le logiciel dans ses moindres secrets, sans jamais s’y aventurer témérairement. En outre, au fil des mois, il s’était proposé pour assister le trésorier et venait le jeudi après-midi pour régler les difficultés qui s’étaient présentées la veille. Modestement et toujours avec le sourire aux lèvres et aux yeux, il s’appliquait à comprendre les arcanes de la comptabilité, malgré la complexité du logiciel qui le déconcertait quelque peu, par moments. Jamais il ne se départait de son regard vif et pétillant, jamais il ne se rembrunissait, jamais il ne bougonnait.

Sa fidélité à la Société se manifestait encore autrement. Il participait immanquablement à nos activités, car curieux de tout découvrir et comprendre, alors même que sa culture étonnait ses interlocuteurs. On le voyait avec une belle constance à nos excursions d’une journée, au départ desquelles il se réjouissait ouvertement, ayant préalablement fait ses propres recherches dans la toile et parlant de ses découvertes. Nul voyage ne lui était de trop ou inintéressant ; il y participait assidûment, toujours curieux de la nouveauté qui s’offrait à lui. Ne parlons même pas de nos visites guidées qui l’attiraient à chaque fois avec la même ouverture d’esprit. On avait l’impression qu’il avait trouvé une nouvelle famille dans notre Société, envers laquelle il se montrait des plus généreux. Chaque année il nous faisait un don important ; pour l’achat de la tête de Saint-Jean il a donné 10 000€ et, comme si cela allait de soi, il nous laissé un legs conséquent par testament.

Courtois et réservé parfois jusqu’à la timidité, il n’était pas homme à se mettre en avant. Il fallait le connaître assez bien pour qu’il accepte de se livrer lors de discussions où ses connaissances étonnaient, car inattendues dans bien des domaines, tel celui de la photographie dont il maniait les termes techniques avec une maîtrise remarquable. De même, il assistait avec ponctualité à toutes les conférences dont il estimait qu’elles pouvaient lui apporter quelque chose. C’est ainsi qu’on le voyait suivre avec intérêt celles données au Münsterhof, au F.E.C. et, les jeudis, au Patio, dans le cadre des soirées organisées par le Jardin des Sciences.

Son parcours est celui d’un homme qui s’est construit malgré les obstacles initiaux. A une enfance chahutée, selon les termes de sa nièce lors de l’office funéraire à la cathédrale, il devait une timidité qui confinait à une forme d’effacement. Voilà qui explique son entrée dans la vie active derrière un poste à souder chez un fabricant de brouettes. Information qui a laissé pantois ceux qui avaient de lui une tout autre image. Une fée bienfaisante s’est ensuite penchée sur lui sous les traits d’une dame âgée qui connaissait ses parents et qui lui a permis d’entrer au conservatoire national des arts et métiers. Très rapidement il y est devenu l’assistant de celui qu’on considérait en ce temps-là comme le pape de la mécanique, le professeur Michel Cazin. Ses qualités d’enseignant et de fin pédagogue étaient unanimement reconnues au CNAM, à Paris comme à Orléans. Sa boulimie de savoir était telle qu’il cumulait les diplômes. Qui d’entre nous sait qu’il détenait un diplôme d’ingénieur de l’école nationale supérieure des Arts et industries de Strasbourg, dans la spécialité mécanique, un DEA de mécanique appliquée à la construction, un doctorat de mécanique industrielle du CNAM ? Mais cela ne lui suffisait pas. Et de fait, il a écrit plus de dix-sept ouvrages d’enseignement, de recherche et de culture scientifique, sans parler des très nombreux documents pédagogiques et articles qui ont vu le jour sous sa plume. Et tout cela sans jamais s’en vanter, dans une discrétion de bon aloi proche d’une modestie et parente d’une affabilité que personne ne lui disputait. Au point que lorsqu’il a pris sa retraite, on l’a qualifié de ces termes : « Jamais un mot plus haut que l’autre. Jamais une remarque négative. Jamais de reproche. »

Ne croyons pas pour autant qu’il n’était qu’un pur esprit. Loin de là. Deux fois par semaine il déjeunait avec ses amis, toujours désireux de maintenir ses liens, voire de les approfondir. Il aimait les voir, pour partager une bière ou pour bricoler. Esprit sain dans un corps sain, il cultivait la marche avec une belle allégresse. Septuagénaire, il marchait en tête d’un groupe et avalait gaiement les 19 km d’un parcours vosgien jalonné par un dénivelé de 900m. Originaire d’outre-Vosges, il avait appris à aimer Strasbourg au point d’y acheter un appartement pour y vivre sa retraite, parmi ses amis et connaissances, car le tissu social lui importait. Il y vivait pleinement ses passions qui recouvraient une gamme des plus larges : mécanismes, horlogerie, astronomie, patrimoine, musique et plus particulièrement le chant grégorien…

Un homme dans la plus belle acception du terme, à la tête bien faite et bien pleine et, surtout, à qui rien de ce qui est humain n’était étranger.

Francis Klakocer
Ill. : Roland Moeglin

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