Lors de notre voyage culturel de début septembre, nous avons visité la cathédrale de Villingen. Parmi les curiosités qu’elle recèle j’ai retenu un vitrail pour plusieurs raisons.

Le transept gauche abrite une chapelle un peu sombre où il faut savoir s’arrêter. La lumière s’y diffuse par un vitrail étroit et instructif à plus d’un égard. Œuvre d’Elmar Hillebrand datée de 1982 sur son socle, il nous rappelle le fort investissement des habitants de cette ville pour leur cathédrale : n’ont-ils pas contribué de leurs deniers à la restaurer à plusieurs reprises ?
Le vitrail représente les instruments de la passion du Christ, communément appelés Arma Christi, les armes du Christ. On y reconnait tout de suite l’éponge fixée au bout d’une longue perche jaune en lieu et place de la branche d’hysope dont parle Jean ou même d’un roseau selon Marc. L’éponge a servi au Christ à boire du vinaigre, non par sadisme d’un légionnaire, mais parce qu’il s’agissait de la posca, boisson habituelle des soldats romains formée d’un mélange d’eau et de vinaigre.
Cette perche se croise avec la lance rouge avec laquelle un soldat piqua le côté du Christ « et il sortit aussitôt du sang et de l’eau ». Longin, le nom du soldat ne figure dans aucun des textes canoniques, mais apparaît dans l’Evangile de Nicodème, apocryphe du IVe siècle. La tradition veut qu’il ait percé le flanc droit, mais les Evangiles ne précisent pas. Savez-vous qu’actuellement il existe au moins trois lances qui passent pour celle du récit de la Passion ? Voilà qui ressortit au culte des reliques et pose la question : combien sont fausses ? Entre ces deux objets on reconnaît nettement le voile de Véronique, femme qui aurait essuyé le visage du Christ dont les traits se seraient imprimés dans le tissu. L’épisode n’est pas relaté dans les Evangiles, mais provient aussi de l’Evangile apocryphe de Nicodème.
Bien centrée, une colonne cannelée mérite qu’on s’y attarde. Son socle représente plusieurs scènes dont celle Ponce Pilate se lavant les mains. Mais aucun Evangile ne rapporte la présence d’une colonne à laquelle le Christ aurait été lié et flagellé ; elle compte parmi les arma Christi depuis le Xe siècle, ce que révèle un bel ivoire cadeau d’Othon le Grand à la cathédrale de Magdebourg, exposé aujourd’hui au Musée national de Bavière. La colonne fait donc partie d’une tradition, elle aussi. Sa présence se justifie néanmoins comme support. Y est accrochée en effet la couronne d’épines en même temps qu’à son sommet campe fièrement un coq au beau rouge. Il rappelle les trois reniements de Pierre prédits par le Christ : « Avant qu’un coq chante trois fois, tu me renieras » (Matthieu XXVI, 69 à 75). Tout aussi apocryphe est la légende selon laquelle la croix aurait été fabriquée et appuyée sur cette colonne, comme on le voit ici. Rappelons à ce propos que la crucifixion était réservée aux criminels de droit commun, car les citoyens romains échappaient à cette peine, tel Saint Paul décapité.
Mais ce n’est pas tout. En bas du vitrail on distingue très nettement d’autres instruments de la Passion : un marteau pour enfoncer les quatre clous (héritage du haut Moyen-âge, alors que les trois clous et les pieds superposés sont plus tardifs), une variante du flagrum, petit fouet romain utilisé comme châtiment qui finit en boule ronde hérissée d’épines et une tenaille. Notons qu’en raison de l’étroitesse du vitrail certains des instruments de la Passion manquent ici : les dés, la tunique, l’échelle…
Le vitrail lui-même s’inscrit donc dans un genre qui hésite entre textes canoniques et récits apocryphes. Mais il y a mieux. Il orne cette chapelle parce que sur le mur du fond on voit un grand crucifix qui aurait été trouvé dans un champ au XVIIe siècle. Les habitants de Villingen sont persuadés de sa valeur tutélaire, grâce à laquelle la plupart des fléaux habituels auraient épargné leur ville : pestes, guerres, occupations et pillages. Remarquons simplement qu’à Hildesheim on attribue les mêmes vertus au rosier millénaire qui pousse contre le mur d’abside de la cathédrale…
Francis Klakocer
Ill. : Roland Moeglin