Le concert des anges, thème de l’exposition en cours à la BNU jusqu’au 21 décembre, mérite une visite approfondie par sa structuration pédagogique, la richesse de ses illustrations et les informations dont elle regorge.
L’exposition est habilement répartie en trois parties qui sont autant de temps forts : l’Alsace, la France et l’archéolutherie. Elles permettent des déambulations de l’une à l’autre avec des comparaisons et approfondissements successifs. Il faut dire que le thème des anges musiciens était en vogue au Moyen Âge : rien qu’à Strasbourg il apparaît à plusieurs reprises à la cathédrale, à l’église protestante Saint-Pierre-le-Jeune et même sur les murs de ce qui fut il y a peu la pharmacie du Serpent.

L’Alsace occupe naturellement le premier espace avec de belles pièces exposées, tant photographiques que reproductions en moulages. N’y manquent pas les anges, qu’ils sonnent de la buccine pour annoncer la fin des temps et le retour du Messie ou jouent de divers instruments – orgue, vièle, harpe… Ils sont de toute beauté notamment à l’extrémité du pendentif de l’orgue de la cathédrale qu’ils parent de leurs couleurs et de leurs instruments, telle la guiterne. Saisis seuls ou en groupe, comme dans la clé de voûte de la collégiale Saint-Martin de Colmar, exécution étonnante pour une scène peu visible des fidèles. La photo en contre-plongée du pilier des anges produit un effet de jaillissement qui en fait une colonne reliant la terre au ciel. Le saviez-vous ? La comparaison entre un dessin original sur parchemin daté du XIVe siècle et sa transposition sur la façade de notre cathédrale (en 1909-1910) révèle que le sculpteur Ferdinand Riedel a reproduit ce modèle, mais en y rajoutant deux anges, un à chaque extrémité. Quand l’artisan prend ses libertés et joue à l’artiste…

Dans la seconde partie, on admire surtout les belles reproductions de peintures d’anges musiciens. Elles ornent, et c’était attendu, maints édifices religieux de nos provinces (Essonne, Bretagne…), mais aussi, et c’est plus surprenant, des bâtiments comme des palais ou des monuments funéraires, destinés à perpétuer la mémoire des défunts. Et de saisir la différence de facture d’une série à l’autre, les goûts changeant avec le temps, mais les couleurs étant toujours aussi travaillées et les visages aussi… angéliques. Parfois les yeux sont fermés comme s’ils étaient en extase. Un cas intéressant interloque : un ange joue de deux harpes à la fois ! En fait, il n’en est rien : le peintre ayant mal réussi sa première version n’est plus arrivé à l’effacer, car ayant travaillé avec de la cire et du jaune d’œuf. L’effet n’en est que plus troublant.
La troisième partie est peut-être la plus intéressante. Consacrée à l’archéolutherie, science expérimentale qui tente de restituer des instruments médiévaux disparus, elle nous livre de belles perspectives intellectuelles. D’abord par la fidélité des rendus, grandeur nature qui nous permet de les appréhender dans leurs détails à partir de recherches historiques, organologiques et picturales. Mais la tâche est rude pour ces passionnés auxquels elle offre peu de réponses. De fait, reproduire l’apparence extérieure est aisée, mais quid de sa partie interne qui demeure cachée à la vue ? On en est donc réduit à des hypothèses et peu sûr que le son soit fidèle à l’original, les documents manuscrits décrivant leur réalisation étant rares. C’est le cas pour les rebabs, rebecs, guiternes et même les harpes (en quoi étaient faites les cordes en ces temps lointains ?). Surprise de taille : un échiquier aux anges, dit échiquier d’Angleterre car prétendument rapporté par un ambassadeur de ce pays. Il s’agit effectivement d’un jeu d’échecs avec son plateau de 64 cases et ses pièces. Mais son tablier s’ouvre comme un couvercle à 45° et révèle une boite avec un jeu de cordes qui vibrent quand elles sont actionnées par un clavier extérieur. Stupéfiant ! Toutes ces tentatives sont dues principalement à Olivier Féraud qui travaille à partir d’une fresque (vers 1420) ornant une voûte de la chapelle de Saint-Bonnet-le-Château (Loire).

A la vue de tant de beautés, on ne peut que parodier le poète Paul Fort : « Le bonheur est à la BNU. Cours-y vite. Il va filer. »
Francis Klakocer
