Saint-Paul de Strasbourg – Un vitrail intrigant

Le jeudi 8 octobre, sous la conduite de Fabienne Martin, une vingtaine de membres ont visité l’église réformée Saint-Paul. En raison d’un bombardement de 1944, les vitraux du chœur y ont été redessinés en 1954 et sont de facture moderne. Posons-nous la question : en quoi le vitrail central est-il moderne ?

Y dominent un peu agressivement le bleu, le blanc, le rouge-orangé combinés à des touches de vert, de jaune doré et d’ocre. Symphonie de couleurs qui apparaissent dans des formes géométriques jamais rectilignes, carrés, rectangles et triangles cernés de contours noirs aux traits épais. Bien que ces derniers renvoient au plomb présent dans les vitraux médiévaux, le tout forme une mosaïque irrégulière dépourvue de toute plage monochrome reposante à l’œil. Jeu de couleurs qui se retrouve à l’intérieur comme à l’extérieur de la mandorle. Aux écoinçons du bas, sur un fond bleu, des corps couchés se lèvent progressivement du sol, tandis que dans les trilobes supérieurs le blanc commence à l’emporter et les personnages y étirent leurs têtes et leurs longs bras minces vers le ciel. Etranges figures à la peau orangée qui exultent dans la joie de la résurrection. Mais en même temps, le choc des couleurs flammées suggère l’avènement de l’apocalypse. Contraste moderne et vif là aussi.

Tête auréolée d’un nimbe cruciforme, un Christ y est représenté, original et traditionnel tout à la fois. La mandorle qui l’entoure n’a rien de neuf, car motif enveloppant les figures saintes depuis le Moyen Âge, les distinguant ainsi du commun des mortels. Figure en pied représentant un orant (homme en prière) aux bras ouverts et aux paumes tournées vers le haut, les pieds sont chaussés d’une légère sandale romaine dont on perçoit la semelle et la lanière. A ce réalisme s’oppose un symbolisme évident. A droite et à gauche du Christ le blé et le raisin évoquent le pain et le vin de la dernière cène. Le bleu du raisin baigne dans un vert pâle qui revient à la droite du Christ parmi des épis blancs sur des tiges orangées. Au-dessus de la mandorle et entre deux trilobes, on distingue un œil inscrit dans un triangle équilatéral blanc et rayonnant, à la fois symbole de la connaissance omnisciente de Dieu à qui rien n’chappe et de la Trinité où le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont des égaux. Cela fait beaucoup de symboles.

A ces motifs et formes se superposent des aspects inattendus. La tête du Christ est curieuse :  sous un cheveu rare et court, un visage émacié, creusé et osseux s’allonge et s’amincit vers le bas. Il évoque un cadavre ou un crâne où de grands yeux étirés en amande attirent le regard. L’ambiguïté est de mise : est-ce le ressuscité glorieux ou le crucifié agonisant ? Mieux : derrière cette figure en pied se détachent en bleu les deux branches de la croix. Si leur couleur répond au vêtement du Christ, leur mosaïque géométrique tranche cependant avec les nombreux plis sinueux et très fins qui bleus et blancs troublent le regard par le désordre qu’ils induisent. On dirait que le Christ et la croix n’y font plus qu’un. Il est vrai que l’un ne va guère sans l’autre dans l’iconographie traditionnelle.

Levons encore les yeux. Au centre d’une rosace un agneau tient par sa patte antérieure une croix où flotte la bannière du ressuscité. Il est vrai qu’il faut un effort pour la distinguer. De sa gorge s’écoule à flots le sang qui emplit un calice doré marqué d’une croix. Il représente le Christ en agneau pascal égorgé pour notre salut, symbole théologique bien connu qui n’est pas sans renvoyer à l’Agneau mystique de Van Eyck. Les six oculi sont tous dotés de croix à deux traverses inégales dont la couleur bleuâtre se détache du fond orangé et dont la position change en fonction de l’oculus. Pour un peu on étoufferait sous une telle surcharge de motifs et de couleurs. Bref, un vitrail qui a de quoi fasciner et déranger, car s’inscrivant dans une tradition tout en rompant en visière avec elle.

Francis Klakocer
Ill. : Roland Moeglin

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