Michel Pastoureau, Églises et couleurs au Moyen Âge

Le mercredi 12 novembre la foule des grands jours avait afflué à la conférence que Michel Pastoureau donnait aux Amis de la cathédrale et à la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame sur les couleurs dans les églises. Public si nombreux qu’il a fallu refuser du monde, au grand dam des refoulés.

D’emblée le conférencier a précisé que tout a commencé avec la fascination des « Antiquisants » pour une Grèce fantasmée en raison de la blancheur immaculée de ses réalisations artistiques. C’était oublier que les Romains par lesquels nous sont parvenus ces trésors les recopiaient sans jamais les colorer. D’où cette vision fausse qui a si longtemps perduré d’une Antiquité marmoréenne éblouissante de pureté. La résistance a été vive face aux premiers archéologues qui ont relevé des traces de polychromie sur ces œuvres tout comme sur les églises et sculptures médiévales, résistance qui s’est poursuivie jusqu’au XIXe siècle et même au-delà. Ce n’est que de nos jours que la polychromie est reconnue comme partie intégrante du Moyen-Âge.

La décoration de ces mêmes édifices religieux a suivi une voie chaotique au fil des siècles. A l’aide de nombreux visuels qui illustraient son argumentation, Michel Pastoureau a montré que les églises romanes étaient rehaussées de couleurs, à l’extérieur comme à l’intérieur, à l’exemple du tympan de l’église de Conques, entre autres. Rapidement deux thèses se sont affrontées à ce sujet. Pour les uns, dont Suger, abbé de Saint-Denis, la couleur avait sa place dans les églises, car Dieu lui-même est lumière. Rien ne saurait donc être trop beau pour lui. Point de vue que les cisterciens, saint-Bernard en tête (sa longue correspondance avec Suger le prouve), réfutaient en prétextant que la couleur était matière et ne permettait pas la communication directe avec Dieu. D’où la sobriété de leurs églises.  La première opinion l’a cependant emporté assez longtemps. Survint la Réforme qui rejeta toutes les couleurs jugées déshonnêtes, dont l’or et le rouge qui qualifiaient la grande prostituée de Babylone, autrement dit l’église catholique avec ses prélats richement vêtus : pape en blanc, cardinaux en rouge et évêques en vert. Le noir, couleur honnête, fut dès lors la couleur des Réformés comme l’attestent les portraits de Luther et de ses amis. Il est vrai que la Contre-Réforme remettra les couleurs au goût du jour, mais avec plus de discernement.

Mais le problème des couleurs se pose aussi autrement. Comment dire quelle était la couleur originelle d’une église avec les repeints et les restaurations couches sur couches ? Quelle valeur accorder aux couleurs quand on sait que maints vitraux composés de pièces rapportées n’ont plus que cinq pour cent de couleur originelle et qu’à Conques le même fond bleu dit christique caractérise aussi le diable qui y est sculpté ? Parfois, on force même sur les couleurs, comme dans la chapelle des Scrovegni, à Padoue, où le bleu saturé des voûtes n’a plus guère à voir avec le bleu initial de Giotto. Il en est de même de la restauration de l’intérieur de certaines églises où rouge flamboyant et or à profusion rivalisent à l’envi pour l’émerveillement des yeux, mais au dépit de l’historien chagriné devant pareil dévoiement qui fait non-sens par rapport à l’ère médiévale. Voilà qui est encore plus sensible aujourd’hui dans la mise en couleur des façades des cathédrales par rayons lasers destinés à animer les soirées d’été, mais qui relèvent d’un kitsch absolu, avec même des erreurs, dont l’emploi excessif du violet qui n’existait pas au Moyen-Âge. Autant de questions qui ont été abordées en une langue simple, éloignée de tout jargon et non dépourvue d’humour par moments. Une conférence comme on en aimerait davantage et un conférencier qu’on retrouvera avec plaisir…

Francis Klakocer
Ill. : Pierre Poschadel, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

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