Visite de l’Aubette

A la fin tu es las de ce monde ancien[1].

Vous attend d’abord un parcours géographique et historique qui rapproche la façade et la place Kléber de conception française du complexe de divertissements créé sur le modèle de ceux de Berlin. Dès l’abord nous voilà au cœur de l’Alsace, pont entre deux cultures. L’interculturalité se poursuit par la présentation des maîtres d’ouvrage, les frères Horn, et les maîtres d’œuvre venus d’horizons divers : le Néerlandais Theo van Doesburg, la Suissesse Sophie Taeuber et l’Alsacien-Français-Allemand Hans-Jean Arp. Strasbourg l’Européenne, donc. L’époque d’après la première guerre mondiale n’est pas oubliée avec sa confiance en le progrès, son désir de faire du neuf et d’enchanter le présent par un art total. Ce sera l’Aubette.

Des trois niveaux originels ne subsiste plus que le dernier. Vaste complexe festif où se retrouvaient au son du charleston et du tango les Strasbourgeois avides de plaisirs. Les trois salles présentent chacune des caractéristiques propres : une salle de bal spacieuse vivement colorée, une salle de passage plus sobre pour la conversation et une salle de cinéma plus richement meublée d’un écran pour la projection de films, boxes avec tables de bois simples mais aux chaises à dossiers incurvées et aux pieds courbes, à la façon Thonet. Une passerelle y renvoie aux navires transatlantiques, seul moyen de traverser les mers à cette époque. Tout y respire la modernité, que les Strasbourgeois n’ont malheureusement pas su apprécier.

Modernité qui se décline sous plusieurs aspects.

La main courante traditionnelle des escaliers est remplacée par une maçonnerie à redents, le palier est rehaussé par un vitrail en verre pressé où se succèdent les rectangles verticaux de différentes couleurs. De surcroît, redents et bandes verticales sur les murs y épousent la largeur exacte des marches. Et les salles. Trois dont chacune diffère de l’autre, car tout y est pensé pour faire de l’architecture un art total grâce à un jeu de subtiles variations. Les sols d’abord : le parquet de la salle de bal cède le pas à un sol coloré dans la pièce de passage, revient au milieu de la dernière salle mais encadré des deux côtés par de larges bandes de couleurs. La lumière ensuite : les ampoules d’abord insérées dans des carrés de tôle émaillée et laiteuse pour ne pas éblouir s’alignent dans la deuxième salle et deviennent des lampes en nickel qui projettent leur lumière vers le plafond pour en aviver les couleurs. Puis les murs et les plafonds enfin: les figures géométriques se déclinent en formes orthogonales (carrés et rectangles respectivement de 1,20m et de 2,40m ), ne sont plus que des lignes ensuite avant de réapparaître sous la forme de lignes obliques qui créent de nouvelles formes (losanges, triangles…) enfin, les bandes rectilignes qui séparent les formes géométriques ont toutes trente cm de large, mais dans la première salle elles ont une épaisseur de trois cm et sont en débord, alors que dans la dernière ce sont les panneaux qui ressortent de 3cm, encastrant cette fois ces mêmes bandes.

Bref une visite enchanteresse comme on les aime : menée de main de maître, elle fut une fête pour l’esprit. Sans oublier les airs de charleston et de tango qu’a joués M. Dulau !

Francis Klakocer
Ill. : Roland Moeglin


[1] Apollinaire, premier vers de Zone.

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